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27/04/2020 12:48
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Nouvelle proposition à La consultation
Prendre exemple sur l'exception culturelle
Il me semble que l'on ne doit pas opposer de façon binaire public et privé, économie capitaliste (dont on voit les excès) et planifiée (dont on n'a pas oublié les échecs). Simplement il apparaît qu'il faut sortir certains biens de la simple logique commerciale, les encadrer d'une régulation qui les protège d'une marchandisation dangereuse. C'est ce qui a été réussi en France et en Europe avec l'exception culturelle : on n'a pas "nationalisé" la culture, mais on a maintenu un service public puissant dans ce domaine et on a encadré les échanges par des systèmes de quotas, qui préservent la diversité culturelle. Je pense que nous devrions permettre aux peuples l'autonomie dans quelques grands secteurs, par un protectionnisme modéré : - l'autonomie culturelle - l'autonomie SANITAIRE (ce que démontre la crise du coronavirus) - l'autonomie alimentaire et agricole - l'autonomie de "réseau" : énergie, eau, transports, communications - l'autonomie stratégique et militaire (déjà assez développée chez nous) Tout ceci n'interdit pas les échanges commerciaux, mais permet à chacun de faire des choix qui ne soient pas limités par les seules règles de la concurrence : par exemple on peut préférer la qualité de l'alimentation, les circuits courts, le faible impact écologique, aux prix bas et à la surconsommation. Dans ce cadre on peut aussi faire cohabiter harmonieusement des services publics et des initiatives privées. Enfin pour chacun de ces domaines on pourra privilégier une approche nationale ou européenne, au fur et à mesure que l'Europe évoluera vers un modèle vertueux et un mieux-disant social. Armand Eloi

Armand ELOI
@aeloi
Comédien et metteur en scène je m'intéresse aux politiques culturelles mais aussi à la transformation vers une société plus sobre, plus respectueuse des personnes et de l'environnement. Je m'attache surtout à penser le long terme dans les différents domaines. Je pense qu'il faut concilier les utopies et le pragmatisme qui consiste à partir du réel pour le changer.
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27/04/2020 12:48
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27/04/2020 12:26
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Nouvelle proposition à La consultation
Précarité et spectacle vivant
Que met à nu la crise du « Covid 19 » du fonctionnement de notre société ? Tout d’abord, que trop d’organisations en France sont mal gérées par une superstructure galopante. Que l’on a créé ces dernières années une administration hospitalière compliquée et pléthorique, une « ingénierie » qui décide mais ne « fait » pas. Et, parce qu’on n’écoute pas ceux qui « font » ... dont on découvre ces jours-ci le rôle irremplaçable, et le dévouement héroïque. Le pouvoir leur a été confisqué. Ce qui est vrai dans la santé se révèle pertinent pour tout ce petit personnel qui assure notre survie tout en étant soumis à une précarité et à des salaires qui les paupérisent. On entend souvent que « l’emploi à vie c’est fini », que les plus jeunes doivent s’attendre à vivre « plusieurs vies professionnelles ». Je me demande vraiment pourquoi demain les enseignants, les soignants, les cultivateurs, les commerçants, tous ces gens si utiles à tous, n’auraient pas un métier pour la vie ? Pour tous ceux qui vivent la précarité, l’envers du décor est moins rose : comment obtenir un prêt, louer un appartement, envisager l’avenir, éduquer ses enfants et même s’épanouir en couple avec en permanence l’épée de Damoclès de la misère au-dessus de la tête ? En temps de crise, la précarité aura un coût financier, social, humain, énorme. Les précaires, les stagiaires, les autoentrepreneurs, tous ceux qui acceptent des contrats de plus en plus courts et mal payés, ceux qui n’ont plus rien, la société va devoir prendre en charge ce que ceux qui les ont employés ont économisé. Le profit facile, la surconsommation, la pensée à court terme, les emplois jetables, l’insécurité sociale, la précarité généralisée, sans parler de la menace écologique largement documentée, cette face sombre du monde d’hier, ne peut pas être un modèle pour demain. Comment ce disfonctionnement sociétal se traduit-il dans les métiers du spectacle vivant et de la culture ? Nous sommes, on peut le dire, le laboratoire du pire. La superstructure culturelle, est également devenue pléthorique, notamment à la faveur de la décentralisation qui a multiplié les structures locales, les agences de toutes sortes, les comités d’experts, tous ceux qui tirent un pouvoir exorbitant de l’atomisation des structures de production. Celles-ci, trop nombreuses, trop fragiles, mal financées, se font une concurrence féroce pour se partager les miettes qui tombent des mains de ceux qui leur ont pris le pouvoir. Comme à l’hôpital, ceux qui « gèrent » ont pris la place de ceux qui « font ». C’est une économie en tension permanente : nous sommes dans l’hyper concurrence, le moins-disant social, l’individualisme, le court-termisme, les flux tendus. Profitons de la crise pour réinventer nos métiers, pour bâtir un autre modèle, plus juste et plus durable. Pensons le long terme. Pensons collectif. Privilégions la qualité artistique sur la quantité des structures et des productions. Pour les équipes indépendantes, elles doivent être mieux financées et socialement viables : les subventions doivent permettre la création de contrats plus longs qui correspondent à la réalité du travail. Des subventions plus élevées et moins nombreuses, pour un mieux-disant social et artistique, pour des structures prêtes à accepter un cahier des charges contraignant en termes d’emploi artistique. Moins de structures, mais pas moins d’artistes. Pour rendre du pouvoir à ceux qui font, à commencer par les artistes, il sera aussi nécessaire de leur rendre les clés de leurs maisons. C’est-à-dire de créer des emplois d’artistes permanents dans le théâtre public, partout où cela sera possible, à commencer par les grandes maisons de théâtre. Employer des artistes permanents (au minimum à l’année) c’est également remettre à sa juste place l’intermittence, qui restera un outil précieux et indispensable pour de très nombreuses activités artistiques, par nature ponctuelles. Il ne peut y avoir de réforme ambitieuse de nos activités sans remettre à plat l’intermittence. C’est aussi la survie du régime qui est en jeu. Enfin, nous pratiquons des arts qui font encore rêver, et suscitent naturellement des vocations plus nombreuses qu’il n’y a d’emplois à occuper. Si on veut qu’ils restent des métiers, il faut être intransigeant avec le non-respect des lois sociales et les pratiques abusives qui prospèrent sur la précarité des artistes. Le rêve est permis à tous, mais ne peut être prétexte à l’exploitation des plus naïfs. De tous temps les créateurs ont su penser les mutations du monde, et parmi eux les metteurs en scène. Ce n’est pas un hasard si le Théâtre Public a été théorisé par Jean Vilar au sortir de la seconde guerre mondiale. Nous traversons une crise sanitaire qui nous force à faire une longue pause. C’est le moment ou jamais de repenser nos métiers et d’inventer le monde d’après. Il sera peut-être meilleur. Armand Eloi, comédien, metteur en scène