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Une société plus méritocratique ne connaît pas nécessairement une plus forte mobilité sociale…
Si l’idée qu’il y aurait un lien entre le pouvoir « kratos » et le mérite « mereo » (être digne) vous apparait comme une évidence, c’est certainement contre la volonté de son inventeur lexical Michael Young.
En effet, dans son ouvrage L'ascension de la méritocratie paru en 1958, dans lequel il fabrique le mot pour les besoins de sa fiction sociologique, il dénonce les effets pervers du système d’éducation anglais. Une contre-utopie, dans la veine de 1984 d’Orwell, où une élite auto-légitimée par des diplômes symboles de leur infaillibilité, finit par se perdre dans sa désastreuse arrogance. Mais pour comprendre la charge littéraire de Michael Young, il nous faut revenir bien avant la création du terme, c’est-à-dire à l’origine du concept.
La méritocratie, à laquelle se réfère l’auteur, émerge en Angleterre entre 1870 et la Première guerre mondiale. Elle se personnifie dans une nouvelle classe, supérieurement éduquée, provenant de la gentry et des commerçant enrichis. Dans un monde en constante évolution, face à l’immobilisme des traditions, elle va prendre opportunément en quelques décennies possession des bastions de l’aristocratie, armée, barreau, fonction publique, gouvernement…etc. au nom de la modernité.
Devenue aristocrate à la place des aristocrates, elle organise le maintien de sa propre domination par la distribution de nouveaux titres nobiliaires : les diplômes. Ainsi, au travers des écoles choisies, se délivrent les pedigrees d’une transmission héréditaire.
L’idéal méritocratique est donc pour M. Young un leurre, destiné à justifier les hiérarchies de richesse et de statut social telles qu’elles sont organisées au sein de nos sociétés. Elles ne sont en rien le reflet d’un quelconque mérite spécifique, mais celui d’un système promis à reproduire ses élites. L’ordonnancement social est ainsi figé, par la terrible morale qui lie ce que l’on gagne à ce que l’on mérite, comme le prix de son exacte valeur.
Nommer les choses que l’on désigne par des mots ou des formules, contraires à la réalité qu’ils expriment, est assurément la stratégie confusionnelle la plus efficace. Michael Young est mort en 2002, il n’a jamais pu rétablir le sens initialement critique qu’il avait voulu donner au mot « méritocratie ». C’est pourquoi, l’ahurissement de l’époque à fait d’une dystopie, un modèle social positif où tous les parents espèrent désespérément hisser leurs enfants.
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