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Légaliser le cannabis : reprendre la main sur les enjeux sociaux, sanitaires et de sécurité publique
C’est en 1970 que la France a prohibé le cannabis par deux lois votées au Parlement. Sans revenir sur le contexte international prohibitionniste de l’époque poussé par les Etats-Unis, ces lois ont été adoptées durant une période que le sociologue sud-africain Stanley Cohen, ancien professeur à la London School of Economics, a qualifié de « panique morale ». En 1969, une jeune fille de 17 ans est retrouvée morte d’overdose dans les toilettes d’un casino de Bandol. Ce fait divers, dramatique et sordide, a marqué l’opinion et précipité une action politique plus forte sur les drogues. En ce qui concerne le cannabis, c’est pour combattre les idées d’un « gauchisme culturel » que le Gouvernement conservateur de l’époque ait souhaité y mettre un terme, afin de donner un signal d’autorité à son électorat.
Cinquante ans après, quel bilan peut-on faire de la prohibition dans notre pays ?
La situation française du cannabis est marquée par plusieurs phénomènes :
- Une double augmentation : celle de la consommation chez les 18 à 64 ans. En 2019, 45 % des Français interrogés ont déclaré avoir au moins consommé une fois du cannabis, ils étaient 42 % en 2014. Et celle, aussi, du nombre de saisies, pour atteindre 115 tonnes de résine et d’herbe en 2018 ;
- Un produit disponible sur le marché noir qui a fortement évolué ces dernières années. L’augmentation en teneur de THC selon l’INPS a triplé en quinze ans pour la résine, à 26,5 % en 2018, tandis que celle de l’herbe a augmenté de 40 % (11 % en 2018) ;
- Si la consommation tend chez les jeunes à la baisse, sur une base bien entendue déclarative et avec des disparités sociales fortes, la consommation problématique à 17 ans a augmenté entre 2014 et 2017, passant de 22 % à 25 % des usagers actuels (OFDT).
Il est ainsi urgent d’agir sur la nature des produits, donc sur le marché, et de mieux accompagner les consommateurs par une politique de prévention puissante et d’accompagnement social, notamment l’éducation à l’usage, qui demanderait bien entendu des crédits budgétaires à la mesure de l’enjeu. Cela passera nécessairement par la reprise en main financière et fiscale du marché du cannabis et de la lutte contre le trafic illégal.
Cette lutte coûte à l’Etat environ 500 millions d’euros, selon le Conseil d’analyse économique (CAE), un organisme rattaché au service du Premier Ministre. Le coût social, notamment pour notre système de santé, avoisinerait quant à lui le milliard d’euros. Alors que le trafic de stupéfiants a été intégré, depuis janvier 2018, au calcul du PIB du pays, l’INSEE mesure enfin le marché du cannabis à plus d’un milliard d’euros en France, un chiffre qu’on peut penser sous-estimé tant il est difficile d’appréhender un marché noir toujours plus florissant.
Le CAE, dans sa note de juin 2019, rappelle aussi que « Face à l’inflation du nombre d’affaires liées au cannabis, les parquets ne peuvent engager des poursuites, ni appliquer des peines, dans tous les cas. ». Ils ont donc défini « des approches alternatives qui leur sont propres ». Il enfonce un peu plus le clou : « La sévérité et l’application de la loi varient d’un territoire à l’autre, notamment entre zones rurales, urbaines et péri-urbaines, créant de facto des problèmes de discriminations épinglés par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme ». L’application de la loi est de « deux poids deux mesures », et ces discriminations sont aussi sociales : plus de 90 % des dossiers judiciaires mènent aux classes populaires alors que la consommation touche tous les milieux sociaux.
Le cannabis est une manne financière primordiale pour la délinquance et le crime organisé, sans communes mesures avec les autres substances illicites dans notre pays. Il est souvent utilisé comme source de financement pour des armes de poings et armes de guerre comme des Kalashnikovs, sur le marché noir. Les forces de sécurité intérieure devraient être mobilisées sur le grand banditisme, largement financiarisé et internationalisé, aux liens complexes avec l’économie légale, et non pas sur les petits trafiquants du bout de la chaîne de valeur.
Doit-on accepter avec fatalisme cette situation ? Non. Nous devons pouvoir légaliser le cannabis en France, en construisant une politique publique à la lumière des forces et des faiblesses des expériences étrangères, en Amérique du Nord, du Sud et au sein de l’Union européenne.
Si l’heure est venue de se réinventer, ne négligeons surtout pas la puissance transformatrice et bienfaitrice d’une telle réforme. Celle-ci ne servirait pas une quelconque dérive hédoniste de la société, mais bien un progrès impératif de justice sociale et une reprise de contrôle sécuritaire, sanitaire et économique.
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