La consultation
#LeJourdAprès consultation
Gérer la santé comme un bien commun : l'exemple de StopCovid et du DMP
Le débat autour de l’application StopCovid permet de soulever deux questions-clés : la numérisation des données de santé d’une part, la gouvernance de la santé comme un bien commun d’autre part. Il nous semble que ce projet était d’abord destiné à masquer les insuffisances de notre gestion sanitaire (tests, masques, matériels de protection…), alors même que nous disposons d’un outil, le Dossier Médical Partagé, qui aurait pu, s’il avait été déployé massivement au sein de la population française, apporter une aide importante dans la lutte contre le COVID-19.
La numérisation des données de santé
Imaginons que chaque français détienne un carnet de santé numérique, dûment protégé par la loi française et des données stockées en France, mis à jour par les professionnels de santé à chaque acte ou diagnostic, permettant aux patients de renseigner eux-mêmes des informations sur l’évolution de leur état de santé, disposant de rappels de tests, vaccins et diagnostics de risque.
Quoi de plus simple alors que d’identifier, plusieurs semaines à l’avance, le nombre et le type de personnes à risque, en s’appuyant sur les premières constatations chinoises et italiennes ? De cibler vers eux les premiers tests COVID-19 ? De mentionner directement les résultats et date de ces tests afin que ces personnes puissent gérer leur immunité et contagiosité ? D’identifier par étude statistiques les comorbidités et facteurs de risques découverts au fur et à mesure de l’épidémie ?
Cet outil aurait dû être imaginé il y a une dizaine d’années, décidé et voté par les parlementaires, soutenu par les médecins, déployés auprès de tous les citoyens avec l’aide des professionnels de santé, interfacé avec tous les logiciels utilisés par les professionnels. Nous aurions alors pu bénéficier d’un outil individuel et collectif de suivi sanitaire sans équivalent qui nous aurait permis d’être informés et réactifs face à la pandémie actuelle.
Le plus terrible, c’est que cet outil existe, a été lancé en 2004, dispose d’un corpus législatif et réglementaire solide, et est utilisé par 400.000 personnes. Il s’appelle le Dossier Médical Partagé (DMP) et, face à la faible imprégnation dans la société, est couplé depuis peu au Dossier Pharmaceutique (DP). Malheureusement, pour de multiples raisons (financières, corporatistes, juridiques, politiques, stratégiques), le projet est resté au stade de prototype insuffisamment déployé.
Le statut des données de santé : entre confiance et contrôle
Derrière les débats de StopCovid et l’échec du déploiement du Dossier Médical Partagé se dresse la question du statut des données de santé, qui est à la fois individuel et collectif. Pour un certain nombre de sujets, ma santé requiert que celle de mes voisins, des gens que je croise, soit bonne également. A l’inverse, ma propre maladie a un impact sur la santé des autres. Accepterait-on l’argument du conducteur sans permis qui considérerait qu’il ne se met en danger que lui-même ? C’est la même chose lorsque nous avons un rhume ou une maladie contagieuse, ou que nous côtoyons des personnes fragiles.
Ainsi, là où nous concevons une propriété et une confidentialité exclusivement individuelles, la pandémie nous rappelle que la contagiosité est une question d’intérêt général. Dit autrement, la santé n’est pas exclusivement un bien privé mais également un bien commun. Il conviendrait de réfléchir à démembrer les données de santé pour distinguer ce qui relève d’informations à caractère confidentiel, d’informations pseudonymisées mais d’intérêt général ou encore d’informations anonymisées d’intérêt statistique, scientifique et politique. En classant les données par type de données et par caractère, nous pourrions réfléchir juridiquement et politiquement au statut de propriété et de confidentialité que nous leur attribuons. Ce faisant, les règles d’accès et d’usage pourraient varier.
On le déduit, la question décisive est celle de la confiance et du contrôle des règles et des solutions techniques. L’une des raisons de l’échec des tentatives de numérisation des données de santé réside dans l’absence d’un organe de gouvernance capable de concevoir et d’imposer des règles justes, efficaces, intelligentes, proportionnées, évolutives et acceptées par les citoyens.
La construction d’une instance de direction dédiée et élargie se pose, au-delà des organes cloisonnés actuels. Les experts (médicaux, techniques, juridiques) doivent être impliqués ; les représentants politiques aussi ; la société ; les penseurs du vivant et de l’éthique ; mais surtout les citoyens, à travers le contrôle qu’ils ont de leurs données personnelles. C’est donc bien un organe de gouvernance dédié, démocratique, délibératif qui pourrait administrer le bien commun que sont les données de santé de tous les Français. Cette gestion par la méthode des communs serait un gage de confiance et de contrôle adapté aux enjeux des données de santé.
Signaler un problème
Ce contenu est-il inapproprié ?
Partager: