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Atelier 14 : "Il suffira d’une crise … pour que les droits des femmes soient remis en question : et maintenant, on fait quoi ?"
Participez à notre atelier « Il suffira d’une crise … pour que les droits des femmes soient remis en question : et maintenant, on fait quoi ? » le mercredi 29 avril à 18h00 avec :
- Françoise Milewski, économiste à l'OFCE et co-responsable du programme Programme de Recherche et d'Enseignement des Savoirs sur le Genre (PRESAGE) de Sciences Po ;
- Ghada Hatem, gynécologue-obstétricienne, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis ;
- Albane Gaillot, députée du Val-de-Marne.
Description:
La crise sanitaire à laquelle nous faisons face agit comme un révélateur des inégalités dans notre société et particulièrement, entre les femmes et les hommes : augmentation des faits de violences conjugales en raison du confinement, renforcement des difficultés dans l’accès à la contraception et à l’IVG, femmes largement majoritaires dans les filières très exposées au virus (caissier.ere.s, agent.e.s d’entretien, aides soignant.e.s, infirmier.e.s, etc), etc.
Aux vues de cet état des lieux, se pose bien sûr la question de l’après : outre les conséquences économiques de la crise sanitaire qui pèseront différemment sur les femmes et les hommes, il est d’autant plus urgent de réfléchir à la construction d’une société plus égalitaire – orientation scolaire et professionnelle, emplois, salaires, place des femmes dans la société, etc.
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Webinar sur Zoom
Comptes rendus des rencontres
Compte rendu de l'atelier
Albane Gaillot :
Pourquoi se poser la question de l’égalité entre les femmes et les hommes à l’heure de la crise du coronavirus ?
Il semble que la crise agisse comme un révélateur des inégalités, de manière générale, mais plus particulièrement en ce qui concerne les inégalités entre les femmes et les hommes :
- Augmentation des faits de violences conjugales en raison du confinement ;
- Renforcement des difficultés dans l’accès à la contraception et à l’IVG ;
- La crise rend visible le fait que les femmes sont largement majoritaires dans les filières très exposées au virus (caissier.e.s, agent.e.s d’entretiens, aides-soignant.e.s, infirmier.e.s, etc).
Dans ce cadre, se pose bien sûr la question de l’après. Il y a d’une part les conséquences économiques de la crise sanitaire dont on peut raisonnablement estimer qu’elles pèseront différemment sur les femmes et les hommes. Et puis, il y a le reste : comment on se saisit de ce moment particulier pour réfléchir ensemble à la construction d’une société plus égalitaire : et là je pense à l’orientation scolaire et professionnelle, aux inégalités salariales et plus généralement à la place des femmes dans la société.
Dans un premier temps, je souhaiterais vous laisser la parole à tour de rôle pour que vous puissiez nous partager votre analyse.
- En quoi la crise que nous vivons impacte-t-elle plus fortement les femmes sur le plan économique, social ?
- Quelles sont les problématiques qui ont émergé, réémergé ou simplement qui ont été mises en lumière par cette crise ?
Françoise Milewski :
La crise révèle et exacerbe les inégalités femmes-hommes. Je vais prendre quelques exemples.
Le premier c’est la sous-valorisation des métiers exercés majoritairement par des femmes. Les aide-soignantes, les infirmières, les auxiliaires de vie, les caissières : ces métiers sont majoritairement exercés par des femmes et ils sont sous-payés, souvent avec des horaires atypiques, souvent également exercés loin du domicile donc avec des conditions de travail difficiles.
Ils sont mal payés et non reconnus alors qu’ils sont essentiels au fonctionnement de notre société et à la prise en charge de la lutte contre la pandémie. On a une contradiction entre la reconnaissance salariale et sociétale, qui est dévalorisée, et l’utilité sociale qui est primordiale. Il faudra s’atteler à cette question.
De façon très concrète, on peut imaginer revoir les grilles de qualification et pas simplement une prime co-vid donnée après la crise. Plus généralement, il faut s’interroger sur ce qui a conduit à cette situation. Pourquoi certains métiers sont majoritairement exercés par des femmes. Finalement, elles font dans la sphère professionnelle ce qu’elles font dans la sphère domestique : le soin, l’attention aux autres, le ménage, etc. C’est pourquoi on ne reconnaît pas à leur juste titre leurs compétences et leurs qualifications : c’est une question de stéréotypes et d’éducation.
Il faudra s’interroger sur l’échelle des valeurs et la reconnaissance sociale des métiers dans notre société dans son ensemble.
Le deuxième exemple que je voudrais prendre c’est les violences conjugales. On peut dire que non seulement la crise a aggravé mais elle les a amplifiées. D’emblée, on pouvait imaginer que le confinement allait mener à ça et il aurait fallu des mesures immédiates, dès que le confinement a été annoncé. Un certain nombre de mesures ont été prises, bien d’autres sont possibles.
Le troisième exemple c’est la question de la répartition des tâches dans la famille. Là aussi, la crise révèle et exacerbe les problèmes. Les tâches ménagères et parentales ont été accrues. C’est encore difficile de mesurer les effets du confinement sur le partage des tâches, mais il y a fort à parier que l’écart préexistant s’est aggravé. Aux femmes, l’organisation du confinement et la plupart des tâches et aux hommes, bien souvent, « j’aide ma femme », ce qui n’est pas un partage égalitaire. Il faudra bien s’atteler à la déconstruction de ces stéréotypes, qui nécessite de vraies politiques d’éducation.
Alors on fait quoi ?
Il faut des mesures très concrètes et urgentes pour les violences. Mais il y a aussi des politiques durables. Parmi celles-ci, il y a l’obtention d’une reconnaissance sociale des métiers exercés par les femmes à la fois matérielles (salaires) mais aussi de reconnaissance et de considération. Il y a aussi des politiques d’égalité et d’éducation à l’égalité pour combattre ces stéréotypes. C’est l’un des enjeux prioritaires de l’après. Le rôle de la famille et rôle de l’école. Les choses se jouent très tôt. Par exemple, les cours de récré sont occupées différemment (les garçons jouent au foot et les filles sont reléguées dans un coin). Cela se décline aussi sur les jouets : il y a un retour vers une sexualisation des jouets qui est beaucoup plus forte que dans les décennies précédentes. Idem pour les habits : je constate une domination actuelle qu’il n’y avait pas précédemment. Cette question de l’éducation est primordiale et pas seulement en attendant le collège ou le lycée. Il faut éduquer l’ensemble des personnels éducatifs et accompagnants à ces questions-là. Il y avait un projet qui a été abandonné – les ABCD de l’égalité – du fait des réactions négatives qu’il avait suscitées. Il faudra repenser ces questions pour faire des progrès durables en matière d’égalité.
Se pose également la question de la redéfinition du rôle de l’Etat. Il faudra s’interroger sur les marchés publics, les biens communs, etc.
Je crains que le jour d’après soit aussi celui de tous les dangers. D’abord, il y a le risque que tout redevienne comme avant. On redémarre, le plus urgent c’est la reprise de l’économie, ce n’est pas le moment de discuter égalité femmes-hommes et revalorisation des salaires. Et puis il y a des questions prioritaires : quelle mondialisation, quelle fragmentation de la mondialisation, quelle globalisation financière, quelle prise en compte de l’écologie et des questions environnementales. Le risque étant que les questions d’égalité soient reléguées au second plan.
Ghada Hatem :
L’hôpital concentre tous ces métiers du care. Il n’y a pas de hasard, nous venons d’une culture des bonnes sœurs qui soignaient et avaient créé des lieux et on a pris la relève. Que ce soient les infirmières, les aide-soignantes, ou les femmes médecins. Il ne faut pas oublier qu’avant le covid, cela faisait un an que nous étions dans un bras de fer avec le Gouvernement, pour que l’organisation de l’hôpital soit repensée, que les salaires des personnels non médicaux soient revalorisés.
Il n’y avait pas de surprise quant à l’augmentation des faits de violences pendant le confinement : les publications en Chine avaient montré que confinement égal 30% de violences en plus, en Italie, mêmes publications. La France n’allait pas échapper à ça. C’est aussi l’augmentation des violences faites aux enfants : 89% d’appels en plus au 119 depuis le début du confinement.
Au sujet de l’IVG, au début du confinement, on s’est dit qu’il y allait avoir un problème : les gens n’osaient plus consulter de médecins par peur d’être infecté ou d’être mal reçu. Et il y avait une certaine honte de se dire pourquoi je vais aller déranger des médecins qui sont en train de sauver des vies alors que moi j’ai un bobo. On a beaucoup communiqué : venez on est ouverts, etc. Très vite, on a vu des limites à notre organisation. La première c’est qu’il fallait quand même venir une fois, deux fois, trois fois à l’hôpital pour pouvoir avorter. On a essayé de faire des procédures qui faisaient qu’on ne venait qu’une fois. Pour les mineures, la loi impose deux fois mais on est passés outre. On s’est dit que dans d’autres pays, on avortait à la maison et quinze jours plus tard qu’en France. On a donc demandé au Gouvernement cette possibilité et nous l’avons obtenue. Nous avons obtenu aussi une annonce officielle : l’avortement n’est pas un cadeau, c’est un soin urgent. On a demandé la téléconsultation, et nous l’avons obtenue. Ces deux avantages là doivent être maintenus dans le jour d’après, pour que ces progrès ne soient pas effacés.
Le troisième sujet qui est plus sensible, qui touche l’éthique, la morale, la loi c’est le délai pour avorter. Les femmes ne vont pas oser sortir (conjoint violent, parents, etc) et effectivement, elles sont très peu venues dans les plannings familiaux : on sait qu’au déconfinement, il faut s’attendre à un raz-de-marée de femmes qui veulent avorter. On a donc demandé très vite au Gouvernement la possibilité d’étendre le droit d’avorter de 15 jours : on ne savait pas que le confinement allait durer aussi longtemps. Nous n’avons pas obtenu ce droit. Dès maintenant, et le jour d’après, nous souhaitons deux choses :
- Possibilité d’avorter la femme sans raison particulière (maladie, etc) jusqu’à 16 semaines d’aménorrhée ;
- L’avortement pour motif de détresse maternelle soit simplifié : qu’il n’y ait plus besoin systématiquement d’une validation par les spécialistes des maladies du fœtus pour qu’on puisse s’organiser plus simplement.
Pour ce qui est du jour d’après d’après, je dirais que pour déconstruire les stéréotypes sexistes, il faut commencer très tôt. Quand les couples sont « enceinte », avec une éducation à la parentalité, pour leur expliquer l’importance de l’impact de la manière dont ils vont éduquer leur enfant. Beaucoup de couples n’en ont pas conscience.
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